vendredi 9 septembre 2011

extrait de lettre de Frédéric Benrath à Alice Baxter

                                                        

                                                         LE GRIS EN PERSPECTIVE

        Ce besoin de reprendre l'écriture, c'est déjà l'avant-propos de la peinture, une réflexion qui s'impose pour ramener la pensée en son lieu privilégié. La reprise de la peinture c'est un peu une douleur qui ne s'exprime pas, une peur aussi, très grande, inexprimable. Peut-être cette peur s'exprime-t-elle par la suite dans la peinture, ça je le crois, je n'y ai pas songé souvent mais aujourd'hui c'est présent. Une boule d'angoisse m'étreint, quand je ne peins pas j'ai l'impression d'avoir tout désappris. je dirai même que cela se passe au niveau tout à fait élémentaire, technique, la substance colorée m'échappe, je n'y songe même pas, ou si j'y songe c'est très vague.

    Gris. Oui je songe au gris. Quand je disais parfois que je peignais le gris c'était un songe, car aucun de mes tableaux récents n'est gris. C'est toujours du gris et quelque chose qui le mine, le pousse à être autre chose, vers le bleu ou le rouge, le rose, je ne sais trop. Mais du gris il n'en reste qu'une infime allusion. Je crois même que je n'y tiens pas tellement à ces tableaux qui ne seraient que gris, mais je véhicule cette idée en moi, comme pour ne pas songer à des tableaux qui sont en moi comme une potentialité d'une autre couleur.

                                                                                                                                 ( le 10 mars 1975)