mercredi 13 avril 2022

 

 

                           « CES PETITS TAS D'OMBRE ET DE LUMIÈRE » (1)

                                                               

                                          ŒUVRES ORIGINALES SUR PAPIER DE FRÉDÉRIC BENRATH

 

                       (texte du catalogue de l'exposition  au musée de Cherbourg  décembre 2017-mars 2018)

 

 

                                                           

 

« Nous avons en nous d'immenses étendues que nous n'arriverons jamais à talonner; mais elles sont utiles à l'âpreté de nos climats, propices à notre éveil comme à nos perditions ».

(René Char, Les Matinaux)

 

DÉBRIS D'ÉTOILES                                                                                     

   « Mes œuvres sur papier, puis aujourd'hui sur carton, délimitent un territoire qui leur est propre ». Le 13 décembre 1987, Frédéric Benrath écrivait ces mots à son grand ami et complice dans la pensée créatrice, l'écrivain et philosophe Jean-Noël Vuarnet, avant de citer Hölderlin : « chaque jour cherchant une autre voie ». Dans cette lettre, il donnait clairement un statut particulier à l'ensemble de ses œuvres sur papier uniques ou en séries. Jamais il ne les a considérées comme secondaires ou marginales, ni comme esquisses préparatoires à une grande œuvre finale destinée à être par la suite en quelque sorte sacralisée sur toile. Pour lui, elles composaient, et composent à elles seules une sorte de corpus en soi, un grand tout cohérent et autonome.

  « Débris d'étoiles / je ferai de vous un univers » (2). Benrath aimait citer cette phrase des Fragments posthumes de Nietzsche, son philosophe de prédilection, auprès duquel il s'est ressourcé toute sa vie pour éclairer après coup sa démarche picturale. Pour suivre cette métaphore, dans l'univers galactique imaginaire que serait l'ensemble de son parcours, il y aurait en quelque sorte la constellation des œuvres sur papier, et la constellation des huiles sur toiles. Avec, entre elles, un jeu relationnel complexe, tantôt en alternance ou en concordance, tantôt en ressemblance ou en dissemblance...

 

 

PETITS FORMATS ÉCHAPPÉS « AU GRENIER DES VIEILLES LUNES »

   Une des principales caractéristiques des œuvres sur papier, par rapport aux toiles, est la restriction des dimensions possibles. La plus grande exposée ici est un triptyque, acrylique sur papier marouflé sur toile de 75x168 cm, datée de 1992. Les plus petites sont des miniatures de quelques centimètres carrés. Il est à remarquer que Benrath a peint très peu de petites toiles. En juin 1978, il me confiait : « je crois que je vais remiser ces petits formats au grenier des vieilles lunes », se sentant « trop contraint » par eux. En revanche, le 25 décembre 1977, il constatait s'être « enfin retrouvé dans les différentes voies que sont très souvent les œuvres de petites dimensions ». Ceci pouvait concerner ses œuvres sur papier, parfois même si petites qu'il les envoyait sous enveloppes de format standard. Malgré la contrainte dimensionnelle, l'intérêt du support papier est d'offrir une grande liberté d'expérimentations de toutes sortes, dont Benrath a exploré le vaste champ de recherche dans ses inépuisables possibilités : l'extraordinaire variété dans la qualité des papiers, la nature des outils, diluants et médiums (hormis, semble-t-il, les pastels secs ou à l'huile), encres, aquarelle, gouache, brou de noix, acrylique, huile, sans compter les techniques mixtes, en collages, ou diverses émulsions plus ou moins orthodoxes au secret non divulgué.

 

 

COLLAGES, TRESSAGES, DÉTOURS  ET DÉCHIRS

   La nature même du papier permet toutes sortes d'actions sur lui, et avec lui : déchirer, froisser,  plier, gratter, lacérer, inciser..., ce que Benrath a peu utilisé, mis à part les imprévisibles hasards de l'énergie gestuelle trouant parfois le papier, la déchirure devenant alors un élément plastique à part entière. Il a réalisé trois types de collages, redonnant ainsi une nouvelle chance à certaines de ses œuvres sur papier, destinées à la poubelle. D'une part des collages sans référence, avec uniquement des morceaux de ses papiers peints, lui ont permis d'expérimenter certaines techniques singulières comme le tressage, ou certains formats comme les tondos (ronds) de 1984. D'autre part, en aventure unique, les collages reproduits dans le livre de Jean-Marie Bloch, Les formes de l'empreinte, traduisent sa vision picturale analytique de certaines photos, comme celles de Doisneau, ou de Stieglitz. En dernier lieu, les cartes postales détournées, nées d'un échange épistolaire entre Vuarnet et Benrath, mêlent certains éléments figuratifs des cartes servant de support, avec des fragments abstraits de peintures déchirées ou découpées, ainsi que des photos détourées, souvent en relation avec la vie de l'expéditeur ou du destinataire. Ces dernières compositions peuvent donc receler quelque chose d'intime et de confidentiel pas forcément décelable à un regard non averti. Ce dialogue créateur entre les deux amis a eu suffisamment d'importance pour qu'ils désirent en faire un livre. Mais ce projet resta à l'état d'ébauche, non abouti pour de complexes raisons.

 

 

LA PEAU DU PAPIER

  Imprévisible et prometteuse présence du papier, aux innombrables ressources. Terreau fertile à la fois avide et généreux, le papier se comporte comme un épiderme vivant, sensible, avec son grain, aussi expressif que le timbre d'une voix. Jamais passif, jamais neutre, le papier répond et s'émeut, toujours réactif, capable de vibrer à la moindre intervention. Plus ou moins fragile, plus ou moins souple, absorbant ou poreux, le papier peut s'enivrer, se gorger d'eau comme une terre inondée. Une contrainte cependant : l'emploi de médiums solubles dans l'eau, encres, gouache, aquarelle, acrylique, souvent utilisés par Benrath, sur ce support perméable, exclut quasiment toute possibilité de repentir. Toute trace colorée sur papier ne peut être effacée, peut difficilement être occultée sous une autre. L'image apparaissante ne peut plus disparaître totalement au profit d'une nouvelle autre, contrairement aux potentialités du travail à l'huile sur toile. Ceci instaure une gestuelle et une gestion du temps très particulières.

 

 

LA PART DU VIDE

  Tantôt la surface de la feuille de papier est entièrement recouverte de couleur, à l'image des  tableaux sur toile. C'est le cas de quelques œuvres, uniques ou en séries : en début de parcours, les gouaches des Zones d'insécurité vers 1954-1958, et en fin de parcours  les  tardives  acryliques sur carton d'après 1987,  toutes les Pièces brèves, Pour Hölderlin, Engadiner Brief, Péninsules, Contre-jour, jusqu'aux ultimes presque monochromes Ainsi la nuit. Dans ces dernières, l'intense irradiation vibratoire, portée à son paroxysme, semble monter du cœur même de la pâte picturale, dans une dense symbiose trinitaire couleur-lumière-matière, où profondeur et surface ne font plus qu'un. En période intermédiaire, l'exceptionnelle série des Violets d'Égypte de 1968 fait apparaître la  lumière  par translucidité soustractive dans le déliement, voire le délitement, du nœud central.

  Tantôt la surface n'est que partiellement peinte. Le blanc du papier intervient alors comme vide,  pur élément pictural, matière-lumière-espace, soit en tant que "fond" mettant en valeur un "motif", soit en réserves irrégulières à l'intérieur même des traces colorées. Ces œuvres peuvent faire penser aux calligraphies d'extrême-orient. C'est le cas de certaines séries titrées par Benrath lui-même, ainsi les Deltas lumineux souvent associés aux Jardins du vide de 1981-1983, ou les Éros suspendus de 1992. Il en est de même pour les séquences suivantes, hélas non titrées, dans le passage progressif des griffures aux "nœuds". Pour faciliter leur repérage, je me permets de leur attribuer un titre provisoire, en essayant de respecter au plus près l'esprit des titres choisis par  Benrath. Par exemple "Envols" pour la série de 1960-1962, ou les "Fleurs de l'air" de 1963-1964, aux fugaces et dynamiques évanescences mi-ailes mi-pétales. Ensuite "Implosante-fixe" pour la séquence spasmodique des nœuds éclatés de 1971-1972 (en référence à cette phrase électrisante et si adéquate d'André Breton dans L'Amour Fou : « la beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle, ou ne sera pas ». Mais aussi en hommage prémonitoire au morceau musical Explosante-fixe de Pierre Boulez, dont Benrath était fervent admirateur). En dernier lieu  "Lacunaires" pour les aquarelles horizontales de 2001 (préparatoires aux gravures du livre Fallacies of Hope, avec les sonnets de Turner), dont les larges flux lagunaires striés de vides ont quelque chose d'elliptique, d'inachevé, d'irrégulièrement alluvial.

 

 

LA LIGNE ET SES AVATARS... EN QUÊTE DE LA LUMIÊRE ENFOUIE                                                                 

  Quelle que soit sa manière d'investir en partie ou en totalité la surface du support, Benrath ne dessine pas sur papier. Il peint. Il n'a jamais analysé sa peinture en tant que "dessin", alors qu'il l'a fait pour son écriture: « Si la passion ne me portait pas je crois que je devrais cesser immédiatement d'écrire. Mais la correspondance est pour moi l'expression d'un dessein et le dessin de cette expression. Le dessin a toujours été pour moi la mise en place d'un récit, son inventaire, sa codification. Très souvent ce qui m'attire chez les dessinateurs c'est le discours qui se désigne en creux, le blanc qui n'est pas le manque, mais dont le contour noir l'inscrit en tant que forme, n'est que la désignation de la forme. Ainsi de l'écriture (du moins de la mienne). Je n'exprime pas un contenu, je travaille autour, ne sachant pas désigner ce contenu je m'inscris à la périphérie, en espérant que se dessinera en creux ce que je souhaite dire vraiment. » (Lettre à mon adresse du 25 décembre 1977).

    Dans les œuvres sur papier, plutôt que des lignes, on voit des traces, des flux, des vagues, ou des étendues. Et quand, assez exceptionnellement, apparaissent des tentatives de lignes, elles sont rarement déposées par un outil chargé de couleur. Elles sont obtenues non par addition, mais par soustraction, balafre, biffure ou gommage dans l'épaisseur de la pâte picturale, soit avec la pointe d'un "outil" (manche de pinceau ? Et pourquoi pas ses ongles ?), soit avec la douceur effaçante d'un chiffon, soit la rugosité râclante de larges brosses. Dans les collages, cette suggestion linéaire apparaît par défaillance de la pellicule colorée, dans les déchirures blanches du papier.

   En 1990, Benrath analysait comme un processus de « mise à nu » les premières « griffures » balayant la surface entière de ses Zones d'insécurité des années 50-60. Par elles « je détruisais mon propre travail, parce que je savais que mon propre travail était porteur de trop de choses qui n'étaient pas de moi. […] Le jeu de la griffure, chez moi, n'était pas un jeu d'écriture, mais un jeu de dés-écriture. Défaire ce qui a trait à la peinture, ce qu'on appelle un peu la syntaxe picturale, le rapport des couleurs, l'équilibre des formes, et tout cela je voulais en faire une table rase, sans savoir où ça allait me conduire. » (Entretien avec Claude Perrin Peintre et critique). Dans les années 90, une sobre graphie est apparue, toujours  incise dans la couleur, faisant ainsi remonter en surface la lumière souterraine enfouie, la lumière des origines, dans cette quête dialectique du clair et de l'obscur que fut toute sa vie l'œuvre de Benrath. Tantôt d'une implacable rigueur en pure géométrie orthogonale, tantôt de façon tremblée, imprécise, vibrante, avec une volontaire maladresse traçante. « Nous rejoignons ici l'affirmation première que l'art est la perfection des formes inexactes. " La plus grande perfection doit être imparfaite – dit de la peinture chinoise un peintre taoïste – alors elle sera infinie dans son effet " . Un cercle parfait, une verticale absolue sont de pures objectivités idéales qui n'assument nullement, dans leur infaillibilité mathématique sans conflit, les incertitudes des formes concrètes ou inventées, qui font de l'artiste le plus rigoureux un homme qui, comme le dit Dante, a la rectitude de l'art et la main qui tremble. » Benrath aimait beaucoup cette phrase de Dante, extraite du livre de Maldiney Regard Parole Espace. Cette intrusion linéaire altérant l'étendue colorée, parfois même sous forme de rature ou  de croix, fut peut-être pour Benrath une nouvelle façon de contrer la tentation illusionniste de voir dans sa peinture une tentative de paysage, ce qu'il a toujours farouchement refusé. « Je suis arrivé à faire des tableaux où il n'y a plus d'horizon, même plus les pseudo-horizons, que ce travail sur la lumière ».

 

 

SUR TOILE OU SUR PAPIER : CE QUI ADVIENT, CE QUI S'EFFACE... REVIENT ...OU NE  REVIENT PAS...

   Pour mieux comprendre les modalités spécifiques du travail sur papier, il est éclairant de faire un détour par le travail à l'huile sur toile enduite. Cette dernière technique particulièrement souple, au séchage très lent, sur un support assez rigide et imperméable offre au peintre une relation durable, malléable, ductile, presque élastique avec la pâte picturale. Dans l'espace d'une seule et unique toile, au cours du malaxage des couleurs que le peintre fait directement sur la toile, une image peut surgir, puis s'effacer au profit d'une nouvelle, qui s'efface à nouveau, et ainsi de suite, en une succession d'images éphémères, toujours différentes, comme autant d'« apparitions-disparaissantes » (Jankelevitch, L'Irréversible et la nostalgie), jusqu'à l'arrêt sur image finale, s'imposant alors comme définitive. Benrath a décrit ce processus comme « un éternel flux et reflux, une montée suivi de retrait. […] Les éléments amoncelés se combinent et se débinent ! Chaque tableau est une succession de tableaux qui émergent et qui s'en vont. » (Entretien avec Jean-Noël Vuarnet, Le Peintre à la question, 1974).

   Sur papier, le peintre effeuille le temps d'une autre  manière. Chaque nouvelle image se fixe aussitôt définitivement sur un nouvel espace. Pour employer une métaphore pelliculaire, au continuum plutôt filmique du déroulement sur toile se substitue un discontinu plutôt photographique des "prises" sur papier. Toutes proportions gardées dans la durée, on pourrait dire de certaines œuvres en séries qu'elles sont faites "en rafales". Dit autrement : au « devenir fluidique » se substitue un devenir syncopé. Le 20 août 1978, j'évoquais déjà cela auprès de Benrath : « la frange se confondant avec l'immensité dans cet espace où la matière est esprit, où l'on passe d'un donné à l'autre de manière totalement alogique. L'œuvre impose à sa lecture une nécessité folle qui n'est pas sans rappeler celle d'Alice dans sa chute et son parcours apparemment fluide mais en réalité traversant par sauts et ruptures des espaces irréductibles l'un à l'autre. La transversalité étant peut-être le fil d'Ariane du discontinu, labyrinthique. » En décembre 1987,  À propos de quelques Pièces brèves, lui-même s'en expliquait ainsi : « C'est donc vers le discontinu ou dans le hiatus que réside le fondement de ces petites peintures ». Il reprenait à son compte les expressions de « roche nue du langage », ou « langue sans intention », utilisées par Adorno pour décrire l'absence de liaison dans l'écriture poétique, dite pataraxique, de Hölderlin. À l'identique, dans l'impossibilité vécue pour Benrath de peindre en continuum perpétuel, sa peinture sur papier se scande en quelque sorte en une suite d'images dis-loquées. Entre chacune d'entre elles existe une pause, un écart, une disjonction, une sorte d'apnée, qui peut être aussi le temps d'un inspir. Ce que Blanchot appelle « le vertige de l'espacement » se produit « là où la lacune se fait césure, puis cadence, et peut-être jonction. Articuler le vide par le vide », dans une mouvance « en perpétuelle poursuite, en perpétuelle rupture » (L'Entretien infini).  L'analyse que fait ici Blanchot de l'écriture fragmentaire chez Nietzsche peut s'appliquer mot pour mot à la peinture fragmentaire de Benrath, dans sa création comme dans sa contemplation.

 

                                                    

L'ÉTERNEL INSTANT

   « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », aimait à dire Benrath, après Héraclite.

   Dans les deux cas, sur toile et sur papier, le peintre affronte toujours la même quête : rendre visibles Les États du mouvant, pour reprendre le titre visionnaire d'un de ses tableaux de 1953-1954.   Se mettre en attente de l'inattendu. Savoir saisir l'insaisissable irréversibilité de l'instant. Telle est sa démarche : traquer, harceler ce qui advient, parfois le temps d'un battement de paupière. Tâche éternellement vouée à l'échec, car le présent fait déjà partie du passé au moment où l'on en parle... Tenter, toujours, l'improbable condensation du temps et de l'espace dans la surface profonde de chaque œuvre. Peinture d'effraction, peinture de rapt. On peut dire que Benrath est un « chasseur d'instants ». Il « ne laissera pas échapper l'instant propice de l'occurrence-éclair. […] La capture du présent fugace suppose la présence d'esprit et, du même coup, la célérité extrême, et des réflexes extraordinairement rapides […]. Ni trop tôt ni trop tard, mais à temps ou à propos – ou mieux : à point nommé. Le point-instant est une pointe dans l'espace infini, un maintenant infinitésimal entre l'éternité antérieure et l'éternité ultérieure ». (Jankelevitch, L'irréversible et la nostalgie). Chaque œuvre est un point de rencontre entre l'instantané et l'immémorial.

    Parvenir à capter l'éphémère phosphorescence, la fine pointe d'un pur instant, ne peut se faire que dans un dé-saisissement du moi, une sorte de dépersonnalisation, en l'absence de tout repère. D'où cette perte d'identité, dont parle souvent Benrath. Le peintre est un enfant âgé de mille ans. Cette sorte d'amnésie, ou d'innocence première, fait monter, du plus lointain des temps et des espaces,  cette voix du fond des âges, archétypale, comme une mémoire sans souvenir, qui se diffuse et se répand en ondes et vibrations colorées dans le champ vierge du tableau, dans le silence de son étendue. « Que de frémissements, que de mouvements furtifs du corps ou de la conscience  inaccessibles à des paroles sont à la portée de ces phrases de la musique dont les signifiants sont désencombrés des références précises que sont les mots d'une langue » (3). Ces propos de Jean-Jacques Nattiez sur la musique s'adaptent très bien à la peinture de Benrath. En réflexion partagée, le peintre lui-même établissait une analogie entre ses Pièces brèves et la concision de certaines compositions musicales, comme les quatuors de la fin du XIXe ou du XXe siècle.

   Qu'est-ce que le Temps ? Le Temps existe-t-il ? Ce questionnement de l'artiste-philosophe rejoint d'autres quêtes similaires, ancestrales ou très modernes, comme celle autour la notion de « Ma », l'espace/temps au Japon, jusqu'à certaines recherches scientifiques très actuelles.

    

                                                               

NOMADE DANS LES FRAGMENTS, CES BALBUTIEMENTS D'INFINI

    Ce cheminement pictural dans les œuvres de Benrath s'apparente à un voyage. Vuarnet définissait son ami comme un « piéton de l'air ». Une migration dans les fragments, telle a été, telle est, telle serait la perpétuelle errance de ces éternels arpenteurs d'infini que sont le peintre et le regardant. Chaque instant fixé sur papier est un fragment à la fois proche et différent de celui qui précède et de celui qui suit. « Chaque tableau est un fragment de cette totalité que constitue une série ; fragment qui en lui-même est aussi une totalité » (4). Peindre, contempler, c'est aller pas à pas, d'œuvre en œuvre, d'île en île, d'étoile en étoile, d'expir en expir. En 1976, Benrath disait déjà de sa peinture : « c'est un travail dans lequel je marche. […] Je voudrais, oui, qu'on puisse y plonger, et même y respirer.  […] Je voudrais qu'on s'y promène » (5). Et plus de 20 ans après : « c'est une lumière dans laquelle je marche et dans laquelle je respire » (6). Pour lui l'implication du corps était totale dans cette « conquête du non-fini, difficile certes parce qu'elle-même est infinie – sans cesse recommencée dans la déambulation ou la nomadisation de l'espace pictural et son improbable fixation » (7). En parenthèse digressive : dans le contact physique avec la peinture, véritable corps à corps érotique, Benrath disait avoir besoin du trouble que lui procurait l'odeur des pigments, liants et médiums, présente dans le travail à l'huile, mais totalement absente de certaines techniques solubles à l'eau. Dès 1975, avec Bloody Mary et Fantômes, l'introduction de la térébenthine lui permit de retrouver enfin dans le travail sur papier cet indispensable et voluptueux plaisir sensuel.

   Le corps, ce lieu dynamique de passage, parcouru de tensions énergétiques et de flux émotionnels, est le seul chemin d'accès aux univers hors normes donnés à voir – et à vivre – dans ces œuvres.  Corps extensible comme celui d'Alice au pays des merveilles, auquel Benrath se substituait métaphoriquement dans cette relation étroite entre le dedans et le dehors, créée dans sa peinture, afin de « passer par le terrier [d'Alice] ou franchir comme Gulliver d'immenses contrées » (8).  Le même jour il écrivait à Geneviève Bonnefoi : « mes petits tableaux sont des trous de serrure sans clé, le voyeur n'étant pas celui qu'on pense, il faut sans doute se faire petit pour " voir " ces petits tableaux et grand comme Gulliver pour les autres ? » Faire en sorte que l'espace  s'espacifie et m'espacifie, pour reprendre certaine expression de Michaux (9), dont il était fervent lecteur. Les frontières du corps, comme celles du tableau, n'existent plus. Benrath désirait que chaque œuvre, si petite soit-elle, soit vécue comme un morceau d'infini : « l'espace illimité tel que je le conçois dans ma peinture est limité dans le format du tableau mais il est illimité dans la façon de le recevoir » (10). « Chaque peinture est émouvante en soi parce qu'elle révèle un instant si bref soit-il où le peintre, dans l'espace fini de la toile [ou de la feuille de papier], a dévoilé l'infini qui nous hante » … « cet infini qui me hante comme un échec inévitable » (11).

 

 

L'ENTRE-MONDE OU L'AILLEURS DE L'AILLEURS

    « Chaque jour cherchant une autre voie » peut aussi se lire « chaque jour cherchant un autre ailleurs », selon les traductions du poème Ménon pleurant Diotima. « Qu'a donc l'homme à vouloir tant et tant ? me demandais-je souvent ; que signifie cette infinité dans sa poitrine ? Cette infinité ?  mais où est-elle ? Qui l'a jamais perçue ? » Ce douloureux questionnement de Hypérion, double romanesque de Hölderlin, pourrait être celui du peintre. Il n'est aucunement question pour Benrath de transcrire ce qu'il voit du monde extérieur. Ce qu'il cherche est ailleurs, et même bien plus loin que l'ailleurs, encore au-delà, dans un ailleurs de l'ailleurs... mais où ? Dans quel espace interstitiel ou interstellaire ? « Comme toujours je peins non la souffrance mais avec la souffrance, mais dans une extrême difficulté comme si j'étais dans le monde et hors le monde, peut-être dans l'entre-monde. Qui sait ? Et comme tu l'écris si justement, ce que nous ne savons pas est infini », m'écrivait-il le 24 février 2005. Cet infini à la fois très proche et très lointain, à portée de main et à jamais inatteignable, peut-être le possédons-nous, au plus profond de nous-mêmes. Qui ne rêve de ces îles perdues, Jardins de Babylone ou des Hespérides, entre nostalgie et utopie ? Il y a toujours cet après, cet au-delà de l'horizon, au-delà de la mer, que le jeune Tadzio, à la fin de Mort à Venise, désigne de son bras tendu vers le large... L'infatigable chercheur convoite toujours l'autre rive, au-delà de la ligne fictive, de l'impossible seuil séparant l'ici-bas et l'ailleurs, le visible et l'invisible.

 

 

L'ÂME DU LAC

   À la fin de sa vie, parallèlement à l'ascèse de ses dernières œuvres, Benrath s'est attardé à peindre sur papier, avec une infinie tendresse imprégnée d'humour léger, de modestes petits arbres entrevus au bord d'un lac, ainsi Le petit arbre du jardin des Hespérides et Le petit arbre qui voit double. Ce lac bien réel, celui de Saint Sixte, découvert grâce à une amie poète, Sylvie Fabre G, fut à l'origine d'un livre d'artiste fait avec elle, dans lequel les couleurs des gravures ont été choisies par Benrath comme celles des quatre saisons. Que le peintre ait ainsi dévoilé s'être quasiment "inspiré" de la nature est un fait tellement rare qu'il est important de questionner cet aveu, à un moment où toutes ses autres œuvres semblent irrémédiablement délestées de toute attache au monde. Improbable côtoiement de deux mondes apparemment inconciliables, entre le connu et l'inconnaissable, entre présence et absence, entre être-là, et au-delà de l'être. Entre immanence et transcendance.

   Il n'y a cependant là aucune tentation vers la figuration. « Benrath n'a peint aucun lac, celui-là pas plus qu'un autre, aucun plus que celui-là. Qu'a-t-il peint ? Qu'a-t-il vu ? L'essence du lac, ou l'âme de l'eau. » (Deus Sive Natura). Dans ses propos étrangement prémonitoires de 1993, Vuarnet fait-il référence à l'énigmatique peinture sur papier de 1964 titrée (ou localisée) par le peintre lui-même  "Schlachtensee", lac très romantique de Berlin où il séjournait à cette époque ?... On peut ajouter que Benrath n'a pas peint la montagne ou la mer, les nuages ou les arbres, il a peint  l'âme de la montagne ou de la mer, l'âme des nuages ou des arbres. Peut-être pas non plus l'instant, mais l'âme de l'instant. « L'âme de l'écart» (12)? L'âme de l'infini ?... Spectateurs du plus humble morceau de nature, en même temps que visionnaires d'un monde autre, c'est un peu comme si, à l'aube de la mort, « nous apprenions que nous-mêmes avons d'abord été des arbres, et qu'en cela nous nourrissons en nous l'espoir toujours inexaucé que ce lieu où nous rêvons de plonger nos racines soit celui où la transcendance se déclare. » (13)

    Peut-être Benrath s'est-il posé la même question qu'Yves Bonnefoy dans L'Arrière-Pays, au titre  si évocateur, « est-ce ici que finit ce que je quitte, est-ce ici que l'autre monde commence ? »

   Comme en réponse à cette interrogation du poète, le 20 novembre 2005, Benrath me dédicaça une de ses dernières acryliques sur carton, d'un rouge flamboyant, en ces termes : « de Ainsi la Nuit à La Nuit Ardente, et sous le signe des passions brûlantes, le feu et ce qui consume et donc renaît à la vie ». Cette expression proche de l'oxymore, figure de style chère au peintre, exprime ici une des étapes de l'expérience existentielle que fut toute sa vie sa peinture, la tension ultime entre deux absolus, l'extrême solitude nocturne et l'incandescence de la passion.

 

     « PEINDRE POUR MOI C'EST PLUS QUE PEINDRE... » (14)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Pour simplifier la formulation de ce texte, la dénomination globale « œuvres sur papier » inclut aussi les œuvres sur carton.

(1) Lettre à Alice Baxter du 9 février 1980 : « Finalement j'ai interrompu cette lettre pour travailler, j'essaie que chaque jour m'apporte son lot de peinture, c'est une discipline qui ne va pas de soi, l'angoisse de la toile blanche, puis celle que révèlent ces petits tas d'ombre et de lumière qui, d'un tableau à l'autre se mettent à me poser bien des questions et pour lesquelles je ne suis pas sûr d'avoir de réponse. Ces petits tas d'ombre et de lumière sont si peu de chose, si fragiles en eux-mêmes, de si peu de poids... »

(2) Lettre à Alice Baxter du 15 août 1978, et carton d'invitation d'une exposition personnelle en 1978.

(3) Quêtes d'absolus, 2009. Ouvrage collectif de Jean-Jacques Nattiez, Pierre Boulez, Yves Bonnefoy, Carole Besnier, Jeanne-Marie Conquer et Jonathan Goldman, qui devait se faire originellement, avant son accident mortel, avec la collaboration de Benrath en tant que peintre.

(4) Benrath. Entretien avec J.-M. Floch et L. Régis, Contre-perspective, 1987.

(5) Entretien avec Jean-Noël Vuarnet, Une sorte d'euphorie qui suspend l'image. 

(6) Proches sur les plus séparés des monts. Texte non publié sur son amitié avec Jean-Noël Vuarnet, 1997.

(7) Texte dactylographié non publié.

(8) Lettre à Alice Baxter du 5 avril 1976

(9) « L'espace m'espacifiait » in Henri Michaux, Les Grandes épreuves de l'esprit, 1966.

(10) Entretien avec Régine Lissarrague, Sur les polyptyques. 2006.

(11) Lettres à Alice Baxter, du 9 février 1980 et du 15 juillet 1978.

(12) Anne de Staël, La remarque de l'ours, in Le cahier océanique, édition La lettre volée, 2015.

(13) Titus-Carmel, Chemins ouvrant, co-auteur Yves Bonnefoy. 2014.

(14) Lettre à Alice Baxter du 22 janvier 2020

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Alice Baxter

 

Extrait du texte "la Mémoire du Regard".

Revue Jungle n°6 sur la mémoire/l'amnésie.1982.

 

 

 



 


 

 

 

 

                                                                       Moires

 

 

- déserts - rumeurs - comme dans la nuit -

(notes sur la peinture de Frédéric Benrath)

 

 

                                                                                   "Celui-là seul est apte à la contemplation

                                                                                     qui n'est esclave de rien".

                                                                                                                                  Ruysbroeck

 

 

 

     Désancré, délesté de tout point de repère, le regard vague d'éclair en éclair, d'ombre en ombre, furtivement. Rien ne balise plus son trajet, rien ne l'emprisonne dans cette peinture à la forme faillie, à la structure absente. "Si forme il y a, je ne la veux que fantomatique, aléatoire, que sa nécessité naisse de la nécessité du tout" (FB. Lettre à Alice Baxter). L'espace n'offre plus aucune prise au regard, et pourtant le prend tout entier, captivé, le regard, dans ce lieu de perdition... Le corps a perdu son axe, l'espace a perdu le nord, la vision son histoire... Peinture à la mémoire désintégrée. Face à elle, le corps lui-même s'atomise ou s'ensable, à son image sans image. "Notre mémoire est dehors, maintenant, répandue... brûlée" (1). Grains de pollen. Lieu originel sans origine, où l'on assiste dans le même temps à la formation et à la désintégration des éléments, à l'incessante construction-déconstruction de la peinture, de tableau en tableau guettée, inquiétée, harcelée. Lieu d'effondrement central, l'essentiel se passant à la périphérie de ce lieu. Désert.

 

     Cette peinture ne figure pas le désert, n'en donne aucune image, ne l'exprime pas, mais en donne l'esprit. "Un désert mental, désert où la soif ne peut être assouvie à aucune oasis, où l'agoraphobie n'est pas géographique, mais psychique, où la lumière est aveugle et  le soleil brisé. Je n'ai pas assez de mots pour dire ce que je tente dans ma peinture, sans doute parce que ce que je tente c'est cet impossible sans nom". (FB. Lettre à Alice Baxter). Est-ce de l'inconnaissable, de l'inconcevable mémoire du monde, dont l'artiste s'approche, sans jamais en cerner l'énigme?

 

     Pas la négation pure, pas un absolu d'absence. Mais un lieu bruissant, où passent des "rumeurs", frémissements de vide, clartés avortées, masses d'ombre.

 

     Parfois, une allusion d'éclat laisse entrevoir l'envol... éros suspendu.

     Parfois, un trou noir, halo cendré, annonce l'enlisement... éros englouti.

     Entre ces deux pôles, des "fragments frissonnants" (2).

 

     Comme une pulsation du corps, d'un corps obscur, d'un immense corps désertique.

 

     "Le lieu devrait être celui de l'oubli et de la mémoire défaillante, c'est-à-dire avec des accidents de lumière, des pointes de clarté vive, des trous d'ombre, des cassures - et où il se passerait des choses qui ne seraient pas annoncées... (3) "des transports de lumière, des ombres noires, des tremblements d'étoiles" (4).      Le murmure recèle une longue accoutumance à l'intense, au drame, et refuse d'en livrer la douleur scandaleuse. Sans épanchement et sans emphase, les couleurs ne déclament rien. Elles ne racontent aucune histoire, ne décrivent aucun spectacle, ne divulguent rien de leur traversée dans la vie du peintre. La couleur soufflée à voix basse en un lent soliloque, expire en cris étouffés, en stridences informulées, propagés de loin en loin dans la houle du silence. "N'entendez-vous par cette voix épouvantable qui hurle de tout l'horizon et que l'on appelle d'ordinaire le silence?" (5). Ce qui ne peut être dit, ce qui se devine dans l'excès tumultueux du silence, saisissable au regard du sourd, est absorbé d'écho en écho dans la mutité de ces tissus gorgés de vide, les touffes obscures de l'espace peint. Éclats voilés, rumeurs... qui dépersonnalisent, dissolvent l'identité, brouillent les pistes, et appellent au non-sens, dans l'impossible de tout repère, de tout déchiffrement. Aucune certitude. La rumeur allie la fugacité de l'éclair à une opacité de brume. Il y a seulement des "on -dit" chuchotés – amnésies flottantes – dont le porte-à-faux est plus vrai que le vrai. "Si nous n'en comprenons pas le langage, nous en entendons la voix" (6). Elle seule suffit. Elle seule importe. Car cette peinture ne cherche aucune justification dans le monde, ne donne aucune preuve de vécu. Défaisant le monde des réalités, elle entrouvre le monde des possibles, des utopies, en percée fulgurante ou porte dérobée. Ce qui se réalise dans cette peinture, et ce qui s'irréalise dans la poésie, le rêve ou la mystique, se rejoignent en ces lieux de grande altérité.

 

 

     Labyrinthe éclaté, morceaux d'espace sans préexistence d'un tout grand ordonnateur. Lambeaux de rêves vacants. Ce que l'on frôle aux abords du sommeil, où le tangible et l'intangible s'embrouillent en vastes coulées de somptueuses grisailles.

 

     Le courant de la pensée se trouve soudain suspendu, porté par d'interminables ondes colorées, avalé dans une mouvance hypnotique dont le tableau détient le secret. On ne sait pas à quel moment on cesse de regarder pour commencer à voir. On ne sait pas quand ni comment a lieu la chute, la plongée ou l'envol. On ne sait pas si le corps est en état de gravitation ou d'enlisement. Le vertige ravit à soi-même le corps déambulatoire. Comment rester debout, au centre du silence, sans vaciller dans son abîme? Aux confins du sommeil, le corps tangue. Balancement de la marche dans le désert, désertion perpétuelle, où l'on désapprend à chaque pas. D'abord, et enfin, la parole perdue. Le désert est le lieu de la parole vaine, où s'aveuglent les mots à l'incendie solaire. Brûlés, calcinés par la radiance noire. Seul, le souffle tient en vie, dans ces laps  d'infinis déracinés, sans latitude. Voyageur somnambule, le regard a quitté le monde, n'entre plus nulle part, est entré dans le nulle part au monde, pour ne plus jamais terminer ce geste de venir.

 

                                                                                                                               Alice Baxter

 

 

 

 

1 - Marguerite Duras .    2 - Virginia Woolf.   3 - Marguerite Duras.   4 - Ruysbroeck.   5- Buchner.     

6 - Malraux.

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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             Benrath expose à Lyon une série de grandes toiles comme autant d'"étendues" dont le nom révèle à la fois l'immensité, le dénuement et l'ambiguïté. Peinture dont la lecture ne se paie pas de mots, difficile à cerner par le langage, parce que de plus en plus dépouillée, de plus en plus dénantie des lois de la grammaire picturale traditionnelle. Et pourtant, si la vision de cette peinture ne laisse en mémoire aucune image définissable comme telle, loin de toute référence anecdotique, naturelle ou symbolique, elle n'en reste pas moins d'une prégnance extrêmement forte et persistante, proche de la fascination. L'expression "nudité sans image" qualifie bien actuellement cet espace peint, où physique et mental se confondent dans le regard nu. Cette peinture ne représente rien sinon, dans la lisière d'un monde entre rêve et réalité, entre plaisir et douleur, entre désir et peur, les zones obscures d'un silence peint. "N'entendez-vous pas cette voix effroyable qui hurle de tout l'horizon, et que l'on appelle d'ordinaire le silence"... dans ces lieux hors frontières, déserts, indéchiffrables, seulement traversés de mouvances troubles, de fluidités sombres, d'ondes obliques de brume ou de transparence, d'opacité ou de clarté, brisant le vertige de l’horizontalité ? L'épaisseur et la densité ne sont pas seulement synonymes de ténèbre, mais aussi de l'énigmatique lumière de l'ombre, dans les sables de l'espace, sans nature et sans nom.

                                                                             Alice Baxter

                                                              Les Nouvelles Littéraires n° 26-27

                                                                      Du 16 au 23 mars 1978

 

                                                                    Exposition Frédéric Benrath

                                                                      Galerie Le Lutrin à Lyon

                                                                  Du 25 février au 25 mars 1978


mercredi 26 décembre 2012

Tabou







TABOU
Ou les perspectives formantes du temps...*
dans le film de Miguel Gomes



Lire un livre, écouter de la musique, contempler un tableau, autant de portes ouvertes sur la découverte de mondes jusqu'alors inconnus de nous. Le film "TABOU", de Miguel Gomes, fait partie de ces oeuvres rares dont l'intemporelle puissance poétique rejoint le mystère des tragédies antiques, et qui poursuivent leur cheminement créateur dans le regard du spectateur , bien après qu'il ait quitté la salle de projection. On ne sort pas du film après avoir quitté la salle...

Bien que localisées et datées avec une précision géographique et historique presque documentaire, "Paradis Perdu" dans le Portugal contemporain (années 2010), et "Paradis" dans l'Afrique coloniale des années 60, les deux parties de ce film sont en quelque sorte introduites en même temps que distanciées par une entrée en matière hors du temps et de l'espace, une sorte de conte légendaire ou mythique, petit film dans le film, mise en abîme d'un vécu transformé par l'imaginaire ou l'inconscient collectif.

Histoire d'amour et de mort, passion interdite au destin tragique, filtrée par différents prismes, au travers du temps qui passe et infléchit la perception du vécu. D'où la structure de ce film, à la fois simple et complexe, non seulement dans son déroulement non chronologique, mais aussi l'agencement des différentes strates, juxtaposées, parfois superposées et imbriquées les unes dans les autres, mêlant conscient et inconscient, subjectivité et objectivité, légèreté et gravité, dérision et fatalité, interdits et transgression, vérité et mensonge, contrainte et liberté, réalité et fiction, et probablement bien d'autres choses encore..., dans leur subtile interpénétration et interaction.

Totem et Tabou... énigmatique prégnance de deux éléments symboliquement opposés, d'une part le mystérieux Mont Tabou au pied duquel l'histoire se passe, d'autre part l'omniprésence totémique d'un animal, le crocodile, qui pourrait être à l'origine de tout, vecteur du noir destin que les deux héros semblent subir plus que d'en être les acteurs . Allusion, peut-être, à la psychanalyse, méthode d'investigation des processus psychiques profonds, en vogue à l'époque dans le monde occidental... Mais aussi reconnaissance des forces magiques primitives aux frontières de l'inconnaissable, aux mains des sorciers et chamans dans le continent africain. Sans oublier les pouvoirs d'interdiction liés à la morale et à la religion (ici le catholicisme). Du début à la fin, le crocodile habite  le film de son ambivalence, de son ambiguïté, intermédiaire entre terre et eau, (mais que l'on peut voir aussi même dans les nuages...), puissance chthonienne et initiatrice, aussi sombre que lumineuse, éros et thanatos mêlés. Pas étonnant qu'il soit la seule image de l'inquiétante affiche du film, avec sa tête émergeant des eaux grises et se reflétant en elles, et ses étranges yeux de tigre à la fente verticale laissant entrevoir d'insondables abysses.

La femme, Aurora, superbe diane chasseresse de grandes proies, figure fascinante de grâce et de puissance, à l'altière et féline démarche, après avoir reçu de son mari l'insolite cadeau d'un bébé crocodile, se laisse emporter par l'irrépressible désir pour un autre homme, presque à son insu, vers un destin plus fort que sa propre volonté. A partir de là tout va s'enchaîner, inéluctablement, jusqu'au crime, jusqu'à la mort symbolique, puis réelle, d'Aurora.

Cette histoire, au coeur du film, est déclinée chaque fois de façon différente selon les inflexions du temps, et filmée chaque fois de façon différente par Miguel Gomes. La dernière partie, toujours en noir et blanc, mais sans paroles, sinon la voix off du vieil homme, narrateur-héros (voix du cinéaste...), racontant ce passé et lisant les lettres échangées, sur le défilement des images, s'imprime profondément dans la sensibilité et la mémoire pelliculaires du spectateur. Peut-être plus grâce aux sons qu'aux seules images. Car si les paroles de cette vie passée sont absentes de l'ultime partie du film, les sons et bruits en sont toujours là, redoutablement présents, et imprègnent la bande-son d'une sensualité exarcerbée débordant sur les images elles-mêmes et leur donnant une intensité particulière. Sans oublier les musiques liées aux époques et aux régions du monde, musique traditionnelle africaine, musique pop des années 60 en Europe, après quelques notes augurales, intemporelles, d'un mélancolique morceau de piano. Indissociables, les perceptions visuelles et auditives se conjuguent intimement pour recréer une autre réalité. Où les références à l'histoire du cinéma sont nombreuses et si bien intégrées qu'elles ne sont pas toujours  immédiatement décelables, que ce soit, entre autres, le cinéma muet, Murnau, le cinéma américain, mais aussi l'évocation directe ou non  de certains films, comme Out of Africa ou India Song. 

Indépendamment de cela, et réalisé avec des moyens techniques très simples, Tabou est un film lui-même hors du temps, dont la puissance évocatrice, épique et poétique, est celle des grandes oeuvres créatrices.
                                                                                                                          Alice Baxter




* D'après une expression de Marcel Proust.

lundi 16 juillet 2012

texte d'Alice sur l'exposition de Frédéric Benrath à Clamecy 2012







                           


"Le peintre n'est-il pas celui qui ouvre les déserts"
                                                                                             Frédéric Benrath*


Si la route de vos vacances estivales, ou vos pérégrinations automnales, vous mènent vers la Bourgogne, prenez le temps de vous arrêter au Musée d'Art et d'Histoire de Clamecy dans la Nièvre, où se tient, jusqu'au 15 novembre, l'exposition des peintures de Frédéric Benrath, de 1979 à 2006, intitulée "Dénouements".

Là, le musée ouvre ses portes vers un autre voyage, une déambulation panoramique dans la seconde moitié de l'oeuvre de ce peintre, après l'abandon progressif des entrelacs baroques du début, jusqu'à l'ascétique dépouillement de la fin. "Ce noeud, d'où moi-même lové autour du membre je suis le prisonnier et le geôlier", ce noeud, lentement, au fil des années, le peintre s'en est lui-même libéré. Il l'a d'abord défait, puis délié jusqu'à l'épure linéaire d'un horizon fictif, qui lui-même a fini par disparaître. Il a déshabillé son oeuvre jusqu'à l'ultime, dans une "déflagration du sens, sinon des sens", et pour que la jouissance trouve enfin son "reposoir", son "lit céleste"...

"La peinture seule ayant pris congé des fantasmes ne peut-elle pas représenter ce qui n'a pas encore de nom", s'interrogeait Frédéric Benrath devant ces étendues peintes qui ne sont ni de sable ni d'eau, ni d'aucun élément reconnaissable, rumeurs d'espace comme marées montantes, d'une substance insaisissable mais dense, qui serait comme le flux moléculaire de l'univers, mais sans repères, sans rappel d'une quelconque géographie. Faute d'expression juste, certains qualifient cette oeuvre de paysagisme abstrait. Nomenclature par défaut pour une peinture à la forme faillie.

Si référence à la nature il y a, elle ne peut exister que par lointaine et très incertaine analogie. Seule présence, non visible, non figurée, mais latente, lancinante telle une mélopée, le corps comme nébuleuse, dissous dans le grand corps du monde, impossible à circonscrire, le corps poussières d'étoiles, ou gisant d'eau. Le corps sublimé dans la seule matière-ombre-lumière, pourtant d'une prégnante et paradoxale sensualité. "Toujours pour tenter l'impossible anamorphose du corps, celui  du peintre et son rapport au corps pictural". "Ce n'est pas pour rien si un tableau pour vivre debout doit se faire comme sur un corps couché".

Au regard de ce nomadisme vibratoire, de ce chemin sans repentir vers une sorte de nudité transcendée, dans une de ses dernières lettres, datée du 22 janvier 2007, quelques jours avant son accident, Frédéric Benrath écrivait qu'à l'intérieur même de son oeuvre il y avait "un au-delà de la peinture et, sans doute, (...) un pas vers la métaphysique"...

Après les deux expositions consacrées l'an dernier à cet artiste, aux Monastères de Port-Royal (78) et de Brou (Bourg en Bresse 01), cette année le Musée de Clamecy met en valeur de façon tout aussi remarquable ce parcours pictural atypique qui mène le regard de celui qui veut bien y entrer, loin, très loin, vers des espaces encore inexplorés.

De plus, sous l'égide de Madame Josette Sivignon, conservatrice enthousiaste et généreuse, le Musée de Clamecy propose en permanence plusieurs expositions didactiques liées à l'histoire de cette région, ainsi sur l'enfant du pays, l'écrivain Romain Rolland, sur l'affichiste Charles Loupot, ou encore l'étonnante aventure du flottage du bois du Morvan vers Paris.

Ainsi, ce très joli bourg du centre de la France offre au visiteur curieux de passionnantes découvertes, comme autant d'invitations vers d'autres ailleurs.


                                                                                                                                Alice Baxter
                                                                                                                              le 26 juin 2012



* Toutes les citations de ce texte sont de Frédéric Benrath, extraites de sa correspondance avec Alice Baxter (ici entre 1972 et 2007).

dimanche 20 novembre 2011

Zoran Music



                                                                              
Autoportrait.1988.
Huile sur toile
                                                                                        
ZORAN MUSIC


Quand tout, ou presque tout, a disparu...


   "L'homme  n'est qu'une fleur de l'air,
  tenue par l'air,maudite par les astres,
  respirée  par  la  mort;  le  souffle  et
  l'ombre de cette coallition, certaines
  fois, le surélèvent."
                                    René Char (1)
                                                         





  Il y a toujours présence du crépuscule, du seuil, du passage, dans ces êtres à fleur d'évanescence.
  Il y a toujours quelque chose de l'effacement.
  
  Et pourtant, plus la forme tend à disparaître, plus elle s'intensifie dans son apparaître. Plus elle s'épure, plus elle s'impose dans une inévitable prégnance. Plus elle semble s'amenuiser, plus semble s'y dévoiler quelque chose de fondamental, qu'une étrange persistance rétinienne, bien longtemps aprés avoir fermé les yeux, réactive sans cesse dans le regard intérieur. L'apparente fragilité de l'oeuvre serait-elle une métaphore de la réelle fragilité de l'être? Rien ne se cristallise, rien ne se fixe sur la toile, sinon le déni de toute "vérité", comme si toutes les affirmations s'étaient effritées les unes après les autres, pour ne laisser en surface que quelques remous. Sans tempête, bien qu'une brise légère fasse encore un peu palpiter les formes. L'apparente incertitude du trait ne délimite rien, sinon l'essentielle incertitude de l'homme.
Ce presque rien, qui s'obstine encore sur la toile, serait-ce la trace ultime avant l'effacement dernier, ou bien la trame indélébile de l'éphémère? L'ombre laissée sur un mur par le mouvement de la vie n'est pas plus mince que ces figures humaines saisies dans la toile. Empreintes du vivant.

                                                
                                                                                                      "C'est le peu qui est réellement tout.
                                                                                                       Le peu  occupe une place immense.
                                                                                                       Il nous accepte indisponible".
                                                                                                                René Char (2)



Zoran Music en est arrivé dans ses oeuvres récentes à ce point de dépouillement où s'abolissent les frontières entre le presque rien et une certaine idée du tout. Aller vers le presque rien, c'est peut-être aller vers le noyau d'infini, irréfragable et sans limites au centre de tout être. Cela se passe, dans cette peinture, avec une telle évidence, si déroutante de simplicité, qu'on ne la voit pas forcément comme telle, mais, paradoxalement, comme insondable ou hermétique. Et cet excès de simplicité entre en tangence avec l'indicible.

Que cette simplicité dise, ou ait pu dire parfois, en même temps que le tremblement, la souffrance, le cri, la limite du supportable, comment en nier l'évidence? Mais que cette évidence ressemble à une excuse, que ce constat d'inhumaine cruauté et d'inhumaine douleur ait le charme désarmant d'un fatalisme de si peu de poids, sans aucune révolte, sans aucune violence, que la grandeur du désespoir possède la grâce d'un sourire, comment le comprendre? A ce point d'ahurissement de l'absolue douleur, tout est dit dans une intolérable douceur.

"L'insoutenable légèreté de l'être" (3) peut prendre ici un terrible sens.
Il a fallu des années et des années, un temps non mesurable, pour que l'oeuvre du peintre en arrive à ce point, une sorte de degré zéro de la peinture, là où le temps s'annule, où l'histoire individuelle s'abolit, là où se rejoignent l'être de la naissance et l'être de la mort, là où, démuni, un et nu devant son destin, l'homme cesse de s'interroger. Par expérience. Par sagesse. Par impuissance.

On a parfois l'impression d'une fatigue sublime, d'un épuisement transcendantal dans cet abandon de soi-même, à soi-même et au monde, à travers cet interminable effacement de la mémoire qui, au lieu de gommer, de faire disparaître, au contraire révèle, fait apparaître la trace de cet effacement comme étant le réel lui-même.

                                                                                                             " S'il n'existait pas de noirceur,
                                                                                                           la blancheur n'apparaîtrait pas".
                                                                                                            Jacob Boehme (4)

Sinon, comment voir ces crêtes d'écume où la béance du néant s'ouvre en pointillé, cette stridence immobile et silencieuse, à la limite de l'ombre et de l'éclat. Comment voir ces visages pareils à des façades aveugles, aveuglés de blancheur chaotique. Comment voir ces figures insaisissables, à la fois maquillées et défaites, masquées et dévoilées par le blanc qui troue et tache, focalise et disperse, qui fossilise et spatialise le temps, le rétracte et le dilate sans fin. Car visages, peut-être, ces débris de lumière, mais aussi nébuleuses. Moléculaire et stellaire, ce poudroiement. Le blanc, qui aurait
pu arrêter le regard, le propulse dans l'espace. Loin, très loin. Au-delà, toujours au-delà. Dans l'intimité de l'infini. Le blanc, lieu de l'énigme, trace de ce qui s'inachève, trace de ce qui s'infinise. "Dans cette pellicule d'une minceur effrayante où se produit la vie", aurait dit René Char (5). Au-delà de la seule présence d'un corps sur la toile. Car fond et personnage sont un seul et même corps, un seul et même espace. L'épaisseur et la transparence de l'air sont l'épaisseur et la transparence de l'être. Ce qui rayonne, quand tout, ou presque tout, a disparu.

                                                                                            "Dans l'écriture blanche, la problématique
                                                                                              humaine  est  découverte  et  livrée   sans
                                                                                              couleur".
                                                                                                           Roland Barthes (6)

Il Viandante (le vagabond)
1994. Fusain sur toile. (détail)
Comme la cendre d'espace, ce charbon noir et friable, cette poussière d'air, dont semble fait le manteau de l'errant, "il viandante", semblable au manteau de vide et de nuit des derviches tourneurs. Noire vacance déambulatoire de l'homme qui s'est détaché de tout, de la peinture qui s'est délestée de tout. Long est le chemin pour passer de l'autre côté, réaliser d'abord la conscience de la vacuité, puis, un jour peut-être, là où les pistes se brouillent dans l'étendue désertique, la vacuité de la conscience. L'homme avance, inscrit dans l'infini. Ses mains, griffures de néant. Ses yeux, deux trous noirs. Pour seul vêtement, une pluie de suie. Dans d'autres temps, dans d'autres tableaux, il est assis, l'anachorète, dans la même absence au monde, dans le même halo de vide, dans la même lumière sans origine. Maintenant, il s'est levé. Depuis longtemps il marche, depuis un temps sans mesure, depuis la nuit des temps. Et chaque pas le dépossède un peu plus. Abstrait de tout. En exil de tout. Il traverse la toile, il traverse l'espace, surgit dans une fulgurance floue, de face ou presque, blême dans l'ombre, cet étranger vêtu de noir... Fantômatique reflet de soi. Issu d'un instant hors norme, venant on ne sait d'où, allant on ne sait où. Vagabond de l'âme, homme libre ou ange déchu, dont la seule certitude est celle du cheminement. Dérive existentielle ou métaphysique, qui peut le dire? Seul l'instant du passage est là, devant soi, sur ce miroir sans tain où se noie le regard dans le regard de l'errant, halluciné par le vertige de ses propres profondeurs, ébloui par sa propre nuit.

Lent et long parcours que celui de cette peinture singulière, solitaire infiniment, solitairement infinie. A l'image de l'errant, Music a laissé faire à son oeuvre son propre chemin, lui a laissé le temps de se faire et de se défaire. Dans les visions mêmes des camps de concentration, l'oeuvre n'exprime ni résistance ni soumission, elle se donne plutôt comme une sorte de constat, comme un état des choses. L'insoutenable fut soutenu. L'insupportable fut supporté. Au prix de quelle souffrance, le peintre n'a pas à le dire ou se refuse à le faire. Il n'a pas fermé les yeux, au contraire. Mais le regard de l'homme et le regard du peintre n'ont pas perçu la même chose. L'étrange beauté de ces morts, de ces montagnes de corps a quelque chose de cosmique, de séparé de l'homme, quelque chose d'un paysage. Ce n'est plus une vision d'horreur, mais une vision pure, nue, comme détachée de toute histoire. Dans la peinture de Music, les racines, les collines, le Zattere, et ces corps sont dans une étrange analogie.
Déjà, qu'il s'agisse de lui, de l'autre, de tout un chacun, de l'anachorète ou de l'errant, de l'homme assis ou debout, de l'homme qui pense ou qui passe, les mains, toujours, sont là, vaguement raturées, démesurées, anguleuses, informes. A peine esquissées, mais obsédantes, ces mains, récurrentes. Racines de l'être.

Dans les portraits de sa femme, voici deux ou trois choses que je sais d'elle, semble murmurer le tableau: l'inflexion du cou, la lumière de la peau, l'aura de la chevelure, presque rien, un frisson, une haleine, une onde, ce qui fait frémir l'air autour d'une personne. Comme dans tous ces visages altérés, craquelés, délavés, parfois, souvent, à la limite de la visibilité. Avec, chaque fois réitérée, l'impression qu'il suffirait d'un souffle pour que tout s'évanouisse, ou d'un simple geste de la main, devant les yeux. Malgré cela, l'homme, dans son inaltérable nudité, présent, toujours, dans ce qu'il a d'intemporel, d'incertain, de fragile, toujours en instance d'absence.

Le peintre semble avoir choisi la plus grande pauvreté de moyens pour dire la plus grande richesse de l'homme, l'être-là, la présence au monde. L'homme dans ce qu'il a d'indéfini, d'illimité. L'insaisissable ne peut que se frôler, l'innommable peut à peine se murmurer, l'indicible s'effleurer. Dans cet affleurement, un parfum d'absolu. Dans ce presque rien, la plus haute tonalité de l'être.

                                                                                                             Alice Baxter
                                                                                                     Le 16 septembre 1995


1- les Matinaux
2- "Volets tirés fendus", Vers Aphoristiques
3- Milan Kundera
4- Mysterium Magnum
5- La Nuit Talismanique
6- Le Degré Zéro de l'Ecriture


Diptyque. 1990. (détail)
Huile sur toile
Diptyque.1990. (détail)
Huile sur toile


Façade à Venise. 1983
Huile sur toile