"Le peintre n'est-il pas celui qui ouvre les déserts"
Frédéric Benrath*
Si
la route de vos vacances estivales, ou vos pérégrinations
automnales, vous mènent vers la Bourgogne, prenez le temps de
vous arrêter au Musée d'Art et d'Histoire de Clamecy
dans la Nièvre, où se tient, jusqu'au 15 novembre,
l'exposition des peintures de Frédéric Benrath, de 1979
à 2006, intitulée "Dénouements".
Là, le musée
ouvre ses portes vers un autre voyage, une déambulation
panoramique dans la seconde moitié de l'oeuvre de ce peintre,
après l'abandon progressif des entrelacs baroques du début,
jusqu'à l'ascétique dépouillement de la fin. "Ce
noeud, d'où moi-même lové autour du membre je
suis le prisonnier et le geôlier", ce noeud,
lentement, au fil des années, le peintre s'en est lui-même
libéré. Il l'a d'abord défait, puis délié
jusqu'à l'épure linéaire d'un horizon fictif,
qui lui-même a fini par disparaître. Il a déshabillé
son oeuvre jusqu'à l'ultime, dans une "déflagration
du sens, sinon des sens", et pour que la jouissance trouve
enfin son "reposoir", son "lit céleste"...
"La peinture
seule ayant pris congé des fantasmes ne peut-elle pas
représenter ce qui n'a pas encore de nom",
s'interrogeait Frédéric Benrath devant ces étendues
peintes qui ne sont ni de sable ni d'eau, ni d'aucun élément
reconnaissable, rumeurs d'espace comme marées montantes, d'une
substance insaisissable mais dense, qui serait comme le flux
moléculaire de l'univers, mais sans repères, sans
rappel d'une quelconque géographie. Faute d'expression juste,
certains qualifient cette oeuvre de paysagisme abstrait. Nomenclature
par défaut pour une peinture à la forme faillie.
Si
référence à la nature il y a, elle ne peut
exister que par lointaine et très incertaine analogie. Seule
présence, non visible, non figurée, mais latente,
lancinante telle une mélopée, le corps comme nébuleuse,
dissous dans le grand corps du monde, impossible à
circonscrire, le corps poussières d'étoiles, ou gisant
d'eau. Le corps sublimé dans la seule matière-ombre-lumière,
pourtant d'une prégnante et paradoxale sensualité.
"Toujours pour tenter l'impossible anamorphose du
corps, celui du peintre et son rapport au corps pictural".
"Ce n'est pas pour rien si un tableau pour vivre debout doit se
faire comme sur un corps couché".
Au
regard de ce nomadisme vibratoire, de ce chemin sans repentir vers
une sorte de nudité transcendée, dans une de ses
dernières lettres, datée du 22 janvier 2007, quelques
jours avant son accident, Frédéric Benrath écrivait
qu'à l'intérieur même de son oeuvre il y avait
"un au-delà de la peinture et, sans doute, (...) un pas
vers la métaphysique"...
Après
les deux expositions consacrées l'an dernier à cet
artiste, aux Monastères de Port-Royal (78) et de Brou (Bourg
en Bresse 01), cette année le Musée de Clamecy met en
valeur de façon tout aussi remarquable ce parcours pictural
atypique qui mène le regard de celui qui veut bien y entrer,
loin, très loin, vers des espaces encore inexplorés.
De plus, sous l'égide
de Madame Josette Sivignon, conservatrice enthousiaste et généreuse,
le Musée de Clamecy propose en permanence plusieurs
expositions didactiques liées à l'histoire de cette
région, ainsi sur l'enfant du pays, l'écrivain Romain
Rolland, sur l'affichiste Charles Loupot, ou encore l'étonnante
aventure du flottage du bois du Morvan vers Paris.
Ainsi, ce très
joli bourg du centre de la France offre au visiteur curieux de
passionnantes découvertes, comme autant d'invitations vers
d'autres ailleurs.
Alice
Baxter
le
26 juin 2012
*
Toutes
les citations de ce texte sont de Frédéric Benrath,
extraites de sa correspondance avec Alice Baxter (ici entre 1972 et
2007).