lundi 16 juillet 2012

texte d'Alice sur l'exposition de Frédéric Benrath à Clamecy 2012







                           


"Le peintre n'est-il pas celui qui ouvre les déserts"
                                                                                             Frédéric Benrath*


Si la route de vos vacances estivales, ou vos pérégrinations automnales, vous mènent vers la Bourgogne, prenez le temps de vous arrêter au Musée d'Art et d'Histoire de Clamecy dans la Nièvre, où se tient, jusqu'au 15 novembre, l'exposition des peintures de Frédéric Benrath, de 1979 à 2006, intitulée "Dénouements".

Là, le musée ouvre ses portes vers un autre voyage, une déambulation panoramique dans la seconde moitié de l'oeuvre de ce peintre, après l'abandon progressif des entrelacs baroques du début, jusqu'à l'ascétique dépouillement de la fin. "Ce noeud, d'où moi-même lové autour du membre je suis le prisonnier et le geôlier", ce noeud, lentement, au fil des années, le peintre s'en est lui-même libéré. Il l'a d'abord défait, puis délié jusqu'à l'épure linéaire d'un horizon fictif, qui lui-même a fini par disparaître. Il a déshabillé son oeuvre jusqu'à l'ultime, dans une "déflagration du sens, sinon des sens", et pour que la jouissance trouve enfin son "reposoir", son "lit céleste"...

"La peinture seule ayant pris congé des fantasmes ne peut-elle pas représenter ce qui n'a pas encore de nom", s'interrogeait Frédéric Benrath devant ces étendues peintes qui ne sont ni de sable ni d'eau, ni d'aucun élément reconnaissable, rumeurs d'espace comme marées montantes, d'une substance insaisissable mais dense, qui serait comme le flux moléculaire de l'univers, mais sans repères, sans rappel d'une quelconque géographie. Faute d'expression juste, certains qualifient cette oeuvre de paysagisme abstrait. Nomenclature par défaut pour une peinture à la forme faillie.

Si référence à la nature il y a, elle ne peut exister que par lointaine et très incertaine analogie. Seule présence, non visible, non figurée, mais latente, lancinante telle une mélopée, le corps comme nébuleuse, dissous dans le grand corps du monde, impossible à circonscrire, le corps poussières d'étoiles, ou gisant d'eau. Le corps sublimé dans la seule matière-ombre-lumière, pourtant d'une prégnante et paradoxale sensualité. "Toujours pour tenter l'impossible anamorphose du corps, celui  du peintre et son rapport au corps pictural". "Ce n'est pas pour rien si un tableau pour vivre debout doit se faire comme sur un corps couché".

Au regard de ce nomadisme vibratoire, de ce chemin sans repentir vers une sorte de nudité transcendée, dans une de ses dernières lettres, datée du 22 janvier 2007, quelques jours avant son accident, Frédéric Benrath écrivait qu'à l'intérieur même de son oeuvre il y avait "un au-delà de la peinture et, sans doute, (...) un pas vers la métaphysique"...

Après les deux expositions consacrées l'an dernier à cet artiste, aux Monastères de Port-Royal (78) et de Brou (Bourg en Bresse 01), cette année le Musée de Clamecy met en valeur de façon tout aussi remarquable ce parcours pictural atypique qui mène le regard de celui qui veut bien y entrer, loin, très loin, vers des espaces encore inexplorés.

De plus, sous l'égide de Madame Josette Sivignon, conservatrice enthousiaste et généreuse, le Musée de Clamecy propose en permanence plusieurs expositions didactiques liées à l'histoire de cette région, ainsi sur l'enfant du pays, l'écrivain Romain Rolland, sur l'affichiste Charles Loupot, ou encore l'étonnante aventure du flottage du bois du Morvan vers Paris.

Ainsi, ce très joli bourg du centre de la France offre au visiteur curieux de passionnantes découvertes, comme autant d'invitations vers d'autres ailleurs.


                                                                                                                                Alice Baxter
                                                                                                                              le 26 juin 2012



* Toutes les citations de ce texte sont de Frédéric Benrath, extraites de sa correspondance avec Alice Baxter (ici entre 1972 et 2007).