lundi 29 août 2011

Extrait de lettre de Frédéric Benrath à Alice




                                 LE CORPS ET LA PEINTURE, LE CORPS DE LA PEINTURE


 " Je ne puis guère parler de la peinture, puisque là où elle se trouve, est en elle-même le lieu qui ne se nomme pas, quelle gageure que de vouloir par elle saisir ce dont justement elle n'est pas saisissable. Tu dis que le corps de la peinture dans mes derniers tableaux serait le corps lui-même, notre corps, une peinture dont la matérialité serait saisissable. Ce serait curieusement l'effacement qui matérialiserait. Peut-être as-tu raison. Pourtant j'ai peur, je crains que ces derniers tableaux ne soient que la peinture du vide dont aucun signe, aucune griffure ne serait là pour le désigner.

     Effectivement et précédemment l'espace était désigné parce que le noeud l'inscrivait comme tel. Or que sont ces derniers tableaux d'une impossible lecture, linceul de l'espace, saint suaire dont la face serait altérée, la trame du drame. La complaisance était de désigner le gouffre par la spirale ou l'ellipse, mais assigner à la peinture la description de ce qui s'écrit est aussi Lapallissade. Ne pas désigner ce que la couleur véhicule, son gouffre, en elle-même sans autre recours que son étendue, est-ce une profondeur où l'on se précipite comme précédemment ou révélateur du vide dont nous sommes entouré, pris dans la toile d'araignée de l'espace sans que la trame soit inscrite, un espace qui n'est pas un appel, mais une enveloppante vapeur de particule colorée. J'ai cru comprendre que tu disais cela. Ce serait pour moi très nouveau et très perturbant.

    Ce que je crains c'est la platitude, si mes tableaux ne devaient devenir qu'une frontalité je les détruis sur le champ. Car pour moi la peinture doit être un champ respiratoire, une densité qui se traverse ou nous traverse, non pas l'étalement d'une surface. La peau des choses ne m'intéresse pas, c'est le sang et les effluves entre les êtres qui suscitent en moi la peinture et par elle atteindre les sensations physiques et affectives. Une atmosphère qui révèlerait, serait le révélateur de ce que nous sommes. Mais qui sommes-nous..."

                                                                                                                      (le 15 novembre 1974)

   

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